Lorsque j’avais 8 ans, j’avais rendez-vous tous les matins avec des voisins pour nous rendre à l’école. Le trajet se passait toujours bien.
Ce matin là, je marchais un peu à l’écart des autres. Je ne sais pas pourquoi mais j’étais un peu à la traîne.
Un homme, teint clair, avec beaucoup de cheveux sur la tête, en fait c’était un afro s’est approché de moi. Il a marché à côté de moi, puis m’a posé des questions. Quel âge as-tu ? Où habites-tu ? Il m’a demandé s’il pouvait passer me voir. J’ai répondu naturellement à chacune de ses questions. Puis il a pris ma main. L’a frottée contre son sexe. Puis je ne sais plus comment nos chemins se sont séparés. J’ai continué ma route vers l’école.
Je n’ai jamais rien dire à personne. Je n’en ai jamais parlé.
A 10 ans. Une connaissance de la famille, que j’appelais « tonton » comme tous les adultes et qui lui avait pris l’habitude de m’appeler « ma femme » nous a rendus visite. Un membre de ma famille préparait l’apéro dans la cuisine. L’homme lui était assis sur le sol, face à la table basse en verre. Je ne sais plus comment je suis arrivée à côté de lui. Tout est qu’il a commencé à me tripoter, a mis sa langue dans mon oreille. Je n’ai jamais aimé cet homme. Je me suis débattue et ai couru dans la cuisine sans jamais rien dire à ma famille. Je n’ai jamais rien dit à personne. Je n’en ai jamais parlé. La seule fois que je l’ai fait c’était à Danielle il y a quelques jours quand nous échangions sur les mouvements #MeToo et #Balancetonporc.
Mai 2007, j’ai 24 ans. Je vois quelqu’un de temps en temps. Je vis à Lille. Lui à Paris. Ce jour là je passe la journée à Paris. Je prends un verre avec un couple d’amis puis me rends chez lui pour la première fois. Il vit en banlieue. Je ne sais plus trop dans quelle ville. C’est un peu flou. En tous cas le trajet en RER me semble interminable. J’arrive au milieu de tours. Je suis inquiète mais j’y vais quand même. J’ai confiance. Nous nous « fréquentons » depuis plusieurs mois déjà. J’arrive chez lui. Ça ressemble plus à un squat qu’à un appartement. Le matelas est à même le sol, les objets électroniques sont raccordés de façon hasardeuse. C’est sale. Je ne m’y sens pas bien. Déjà je veux le quitter. Il commence à me toucher. Je n’ai plus confiance. Il veut aller plus loin. Je lui demande s’il a des préservatifs. Il me dit non. Je refuse d’aller plus loin. Je dis non. Je le dis en Anglais car il est anglophone. Puis en Français. Je dis non. Il continue. Je serre les cuisses. Il jouit. Je ne sais pas s’il a réussi à forcer l’accès. Je ne sais pas. Je ne sais plus. C’est confus. Je me lève. Je vais pleurer dans les toilettes. Je sors. Je prends mes affaires et quitte cet endroit. Je marche pour retrouver la station de RER. Il me suit. Ne semble pas comprendre mon désarroi. Insiste pour me parler. Il n’est même pas menaçant. Il me regarde. Il y a des policiers au RER. Pleins de policiers. Enormément de policiers. Ah je me souviens du nom de la station de RER. Je me dirige vers les policiers car ils sont au niveau des portiques. Je ne dis rien à personne. Je ne porte pas plainte. Je prends le train. Retourne au café retrouver mes amis qui y étaient toujours. Comme si de rien n’était. Je les retrouve. Prends un verre. Rigole avec eux. Passe un moment bizarre. Comme si je flottais au dessus de tout ça. Je prends le train pour Lille le soir même. Je laisse cette histoire dans un coin de ma tête. Elle revient de temps en temps mais je n’en fais pas cas. Je ne suis pas traumatisée donc bon c’est que tout va bien n’est-ce-pas ?
Je n’ai parlé de cette histoire qu’il y a 3 mois, à un homme qui est entré dans ma vie et qui est une belle rencontre. Le fameux « date » dont je parle parfois sur mes stories Instagram. A part lui, j’en ai peut-être parlé une fois sur whatsapp à des amies. Sans doute Danielle encore ? Je ne sais plus.
Ces 3 épisodes me sont revenus en pleine face ces derniers jours. En lisant toutes ces histoires. Tous ces témoignages poignants. J’ai réalisé que moi aussi. A un moment j’ai subi une agression sexuelle.
Depuis quelques jours je suis un peu « down » et je n’arrivais pas à identifier la raison. Je crois bien que ça y est. J’ai compris. Ces souvenirs qui remontent à la surface.
Ces émotions que je ressens, ce n’est pas de la honte. Ce n’est pas me sentir sale. Je pense que j’éprouve une profonde colère de réaliser que nous sommes si nombreuses. Si nombreuses à subir des agressions sexuelles, du harcèlement de rue, de la négation de notre humanité. Nous sommes si nombreuses et ce n’est pas normal.
Pourquoi n’ai je pas porté plainte ? Pourquoi n’ai je rien dit ? Enfant je me disais qu’on ne me croirait pas. Et puis je n’avais pas conscience de la gravité des faits. Je me demande ce qui me serait arrivé si j’avais été seule avec ces hommes.
Pourquoi n’ai je pas porté plainte alors que j’avais tous ces policiers autour de moi ? J’avais peur. J’étais sous le choc. Je niais ce qui venait d’arriver. Et puis ce n’était pas si grave que ça. Je n’avais pas été sauvagement violée dans un squat. Et puis c’était sensé être un homme que je connaissais bien. Je pensais que c’était de ma faute. Pourquoi suis-je allée chez lui d’ailleurs ?
J’en parle ici aujourd’hui sur mon blog. Cet espace qui m’a vue grandir, devenir la femme que je suis et sur lequel je me raconte depuis exactement 10 ans. Cet espace qui m’appartient. J’en parle ici car lorsqu’on a la chance d’avoir une plateforme, qu’on est une « personnalité publique » or whatever, on se doit de s’exprimer sur certains sujets. C’est ainsi. J’ai la chance de pouvoir m’exprimer. De vivre dans un pays où la liberté d’expression est précieuse. Je saisis cette chance là.
C’est aussi un devoir de dénoncer ces comportements. Il y en a d’ailleurs un autre qui alors lui tellement commun qu’il est banalisé. Le harcèlement. Le harcèlement de rue d’abord : au moins une fois par jour et cela depuis que j’ai de la poitrine à savoir 11 ans. Dans tous les pays. Sans compter les « t’es qu’une grosse vache salope » à chaque refus de ma part de répondre à des sollicitations qui ne m’intéressent pas. Et puis le harcèlement en ligne. Au moins dans la rue je vois généralement venir le truc et parfois je réponds et quand je suis en forme je hausse le ton. Mais alors ces fois où je reçois des vidéos de mecs qui se masturbent dans ma messagerie Instagram ou Snapchat me donnent envie de vomir. Recevoir ce type de video alors qu’on n’a rien demandé : c’est du harcèlement.
Et mon consentement alors ? C’est de la merde ? Il n’a pas de valeur. Pour eux non. Certains disent que je devrais être flattée de recevoir ces vidéos car grosse comme je suis, impossible de plaire à un homme. Connards.
Alors voilà. J’en parle. J’en parle et je n’ai ni honte ni peur de le faire. Nous ne sommes pas seules. Vous n’êtes pas seules. Nous sommes toutes ensemble. Main dans la main. Nous nous soutenons.
Sans ces différents témoignages sur les réseaux sociaux, j’aurais sans doute continué à occulter ces épisodes de ma vie. A les garder sous silence. A les enfouir le plus loin possible et à continuer à bâtir une forteresse autour de moi. Je parle de forteresse physique, tout ce poids que j’ai pris et qui m’a sans doute sauvé la vie ces dernières années. C’est désormais un nouveau travail que j’ai à mener.
Ces quelques lignes laissées ici me permettent d’en prendre conscience. Je réalise aussi que c’est après le malheureux épisode avec l’anglophone, en 2007 que j’ai commencé à avoir des problèmes de thyroïde. J’avais déjà lu que les maladies de la thyroïde peuvent se déclencher suite à un choc émotionnel. Elles font partie des maladies du silence, les maladies du « ne pas dire ». Ces maladies qui renferment de la colère non exprimée. Je n’avais jamais fait le lien. Je pensais que seule l’hérédité jouait dans mon cas. Tu parles. Des choses à dire il y en a des tonnes.
Ce n’est pas un hasard si c’est aussi en 2007 que j’ai commencé à bloguer. Que j’ai trouvé un refuge sur Internet pour tenir un journal intime public. En fait tout se recoupe.
Dans un précédent billet (ici), je parlais de l’effet négatif que peuvent avoir les réseaux sociaux sur le moral.
Dans ce cas, ils m’ont permis d’entamer une réflexion sur la question. De comprendre la raison pour laquelle je ne supporte pas, et suis prise de tremblements lorsque j’entends le récit d’une agression, d’abus sexuel ou d’inceste. Merci d’avoir ouvert cette conversation. Je suis certaine que bon nombre de femmes vont pouvoir commencer le processus de guérison et trouver la paix en mettant des mots sur leurs maux.
Et maintenant ? Qu’est-ce qu’on fait ?
J’ai découvert à travers cette vidéo que le mouvement « Me too » existe depuis de nombreuses années.
Ce mouvement qui s’invite sur les réseaux sociaux permet à des milliers de femmes d’avoir une conversation à coeur ouvert, de réaliser qu’elles ne sont pas seules, de s’exprimer sans avoir à le faire face à d’autres qui pourraient juger et trouver des raisons aux violences qu’elles ont subies. Ou encore face à des agents de police qui nient ce qui leur est arrivé. Triste réalité mais en même temps c’est rassurant car nous avançons désormais ensemble. Main dans la main.
N’ayons pas honte. Ne minimisons pas la souffrance des unes et des autres. Il n’y a pas de « petite » agression. Il n’y a pas de « petit » traumatisme. Il n’existe pas d’échelle de valeur dans la souffrance. Ne tombons pas dans le raisonnement de culpabilisation paternaliste qui nous reproche notre façon de nous habiller, notre décision d’avoir une vie sociale et de sortir la nuit, notre désir de passer la soirée avec telle ou telle personne. Non. Le problème ce n’est pas nous. C’est eux. Ce sont eux les prédateurs.
Notre seule mission, en tant que femmes est de vivre avec nos propres règles et d’avoir confiance en la vie pour guérir car en fait nous sommes des survivantes.